HistoryIndex.sk est le nom d'un fichier numérique généré automatiquement par mon navigateur web [Safari]. Selon un algorithme énigmatique ce document collecte le contenu des pages consultées. Le document "HistoryIndex" que je traite ici est nourri des recherches préparatoires autour d'un projet intitulé "variations sur l'inquiétude du béton".

variations sur l'inquiétude du béton est le titre d'une création sonore, imaginée en lien avec un chantier. Ce chantier est celui d'un dispositif dédié aux musiques actuelles [HYDROPHONE - Lorient - France - 2018/2019]. L'idée initiale fut de collecter des enregistrements lors de ce chantier, motivé par la dimension historique très particulière du lieu considéré : une alvéole du bâtiment K2 de la base des sous-marins construite pendant la seconde guerre mondiale par les nazis. Cette démarche, apparentée au field recording ou phonographie en français, s'orientait alors vers un seul but : la création d'une pièce électroacoustique.

Au fil des séances de travail sur le chantier, ma perception de l'espace a changée. Laissant rapidement de côté la fascination pour le gigantisme des lieux, je me suis surpris à en photographier surtout les détails, notamment sur les murs. Leur surface, comme une peau usée, offre un émouvant témoignage de l'histoire du lieu. Les couches de peinture successives, éclatées par le temps, laissent entrevoir le béton "historique". Des impacts, des traces, des écritures liées aux différentes époques d'activité semblent me raconter, dans une langue souvent hermétique, une histoire dont je n'ai pas toutes les clés. Sans doute, cette absence partielle de sens, est-elle venue teinter ma perception sonore du chantier en cours. Les vibrations soutenues, provoquées par les impacts des marteaux piqueurs sur ces murs, faisaient résonner en moi les voix d'une histoire faite des inquiétudes de la guerre. Ces mêmes inquiétudes dont mes parents et grands parents témoignaient en évoquant leur vie sous les bombardements de Lorient.

Les enregistrements ont été réalisés soit avec un microphone de type couple stéréo pour les espaces mais surtout avec un hydrophone placé dans les fissures des murs ou les perforations opérés pour les besoins du chantier pour capter les vibrations.

Mon travail sur les sons collectés passe, entre autre, par des interventions directes sur la représentation du spectre sonore. Ces images spectrales peuvent être manipulées par croisement avec des images « non sonores » afin de modifier la dynamique et la fréquence des partielles constituant le son initial, en fonction de la position et de la densité des niveaux de gris.

Ces images de traces collectées sur les murs, par leur origine historique, se sont imposées comme des filtres naturels pour traiter les sons issus de ce chantier. Comme si cette manipulation purement technique sur le son se trouvait augmentée d'une charge symbolique.

Après un travail de préparation de ces images/filtres dans Photoshop, j’ai obtenu des images dont l’aspect évoque fortement les gravures à l’eau-forte ou la manière noire. Elles ouvrent un univers habité par des formes semblables à des créatures fantastiques. Leur graphisme bruité, granuleux, fouilli parfois, dessine une nuit imaginaire ou des formes abstraites semblent suspendues dans un monde peuplé de créatures étranges...

Le chantier en cours, a amené progressivement son flot de nouvelles traces, en effaçant parfois les anciennes ou dialoguant étrangement avec elles. Des formes différentes, plus contemporaines sont venues structurer progressivement ce nouvel espace. Le traitement systématique des photographies, incluant un passage au négatif, révèle et renforce la perception graphique de ces transformations.

Cette dimension visuelle, associée à la dimension sonore, a largement orientée la suite de ma démarche en une sorte de field recording généralisé. Le mouvement photographie > photosonie et inversement, a induit un processus génératif où toute captation devenait pertinente.

Parallèlement à l’écriture de la pièce sonore, j'ai donc imaginé un dispositif apte à restituer quelque chose de ma perception de cet espace "nocturne", de ce processus.

Ce dispositif est construit autour de fragments de carottages réalisés, lors du chantier, dans les murs de la base de sous-marins afin de permettre des ouvertures de portes. Ces murs ont une épaisseur de 2m50. Cette épaisseur fonde la « réputation » d’invincibilité de cette forteresse de béton.

Le dispositif met en scène ces fragments mis bout à bout sur une longueur de 2m50 afin de reconstituer cette épaisseur. Il représente une sorte de scanner sondant la dimension pseudo-historique habituellement conférée à des carottages (notamment en géologie). Un écran montre la progression du scanner sur les fragments éclairés par des leds qui avancent de façon synchrone avec l’image. Un écran placé en arrière sert de receptacle aux images « issues » de la lecture des fragments de béton. Chaque fragment - il y en a 13 - correspond à un titre du projet sonore variations sur l'inquiétude du béton. Il en est un peu l'avatar. Si la variation suppose en effet la répétition de quelque chose, d'une structure, d'un thème, elle incarne en même temps l'idée d'un changement. Ce quelque chose a changé. Chaque fragment ici, est devenu pour moi le modèle, la partition, d'une des variations. Il en a fixé la durée relative et, par sa position dans la suite des fragments, la thématique relativement à ma propre progression dans l'approche de ce projet. Ce scanner de carottages peut donc être regardé comme une partition.

HistoryIndex.sk est donc une archive reflet de mon approche de ce projet. Les recherches documentaires essentiellement menées sur le WEB, m’ont amenées à considérer les cheminements de pensées, parfois sans issue, induits par la consultation arborescente propre aux réseaux. Cette pratique favorise les requêtes visant à rapprocher des signifiants à la volée dans le champ du moteur de recherche. Elle n’est pas exempte d’une dimension poétique inhérente aux rapprochements sémantiques fortuits. Elle a favorisé ici la libre association dont témoigne le glossaire associé aux titres des variations sur l'inquiétude du béton.

Curieux du tracé de ces cheminements, parfois plus que par leurs résultats, je me suis alors intéressé au contenu de l’historique du navigateur. J’ai alors découvert l’existence de ce fichier « HistoryIndex.sk » situé au coeur de l'operating system de mon ordinateur. La syntaxe déroutante de ce fichier, ouvert dans un traitement de texte, m’a immédiatement fasciné tant par son aspect que par son contenu. J'y ai retrouvé, organisé comme l'index d'un glossaire improbable, tous les signifiants de mes requêtes, mêlés à ceux des sujets connexes souvent sans lien. L'aspect étrange de cette littérature, vient d'un processus automatique d'archivage et d'indexation non conçu pour être lu. Toutefois, sa réincarnation textuelle dans un traitement de texte, rend perceptible la manipulation des données par un processus algorithmique, l'effacement inexorable du sens.

Ce fichier est un peu l'inverse de la dimension historique des lieux que je tentais d’aborder par ce projet. Sa découverte est venue équilibrer les choses dans un rapport associant la « grande histoire » à mon cheminement intime durant ce projet. Il m'invitait à une approche plus ludique. Des extraits aléatoires de ce texte, sont placés comme des sous-titres sur les images projetées derrière le scanner. D'autres extraits constituent le livret intitulé HistoryIndex.sk [fragments], placé sur un pupitre à côté de cette partition.

Cet ensemble constitue une proposition de traversée imaginaire de ce mur symbolique, une sorte de voyage nocturne peuplé de créatures et/ou de formes, mais aussi de textes et de symboles laissant au spectateur le choix d’interprétation de ces rapprochements inattendus.

A côté du dispositif, un ensemble de 10 flacons étiquettés, intitulé scories, présente une collections de prélèvements opérés régulièrement sur le chantier. Ils sont comme les résidus d'un processus qui ne sait plus décider du statut de ce qu'il produit. Garder/perdre/regretter...

La dimension historique inhérente à l'ensemble de ce projet n'exclue pas la dimension ludique assumée. Cette proposition questionne tout autant les problématiques patrimoniales et la tentation de l’archivage systématique dans une société envahie par le doute que les potentialités esthétiques issues d'un processus génératif systématisé.

Le titre de cette présentation, synopsis renvoie à l’aspect cinématographique de l’installation : une sorte de cinéma fragmentaire pour un film qui se réécrit sans cesse et dont chacun peut lire les sous-titres en toute subjectivité, leur redonnant du sens à l'aune de la responsabilité qui lui incombe.